Jeux olympiques et ascèse

La notion d’ascèse

Cet été, durant quelques semaines, les médias du monde entier nous ont inondés d’images des Jeux Olympiques qui se déroulaient à Londres. Sur les écrans défilaient des visages radieux, marqués par les efforts qui permirent à cette élite des athlètes, après les épreuves de qualification, de s’élever au plus haut niveau, celui où l’on gagne des médailles parce qu’on est les plus forts à l’échelle du monde. De telles performances ne peuvent être obtenues qu’à la suite d’une préparation longue et minutieuse, d’une discipline de vie tant dans l’ordre du physique que de mental, d’une véritable ascèse. Ce qui rapproche l’ascèse déployée dans les JO et l’ascèse chrétienne, c’est l’effort, la volonté d’aboutir, une persévérance sans faille.

En grec le mot ascèse (« askesis ») signifie exercice, entraînement, combat. L’ascèse peut s’appliquer dans le domaine philosophique – ainsi, chez Platon, l’ascèse est « l’art de pratiquer la patience». Dans le domaine moral, elle « l’art de s’adonner aux vertus », de vaincre les tentations, de renoncer à ce qui détourne l’âme de son but. Dans le domaine spirituel, elle est « l’art de libérer son esprit pour l’unir à Dieu ». Elle peut également s’appliquer au domaine sportif comme à bien d’autres domaines intellectuels, manuels, artistiques (« faire ses gammes »), partout où il faut s’astreindre à un apprentissage dur et fatiguant. Nous sommes alors tendus dans l’action pour obtenir le succès de nos efforts.

Saint Paul va jusqu’à comparer l’ascèse de ceux qui s’affrontent dans les jeux du stade sous les applaudissements de la foule, avec l’ascèse du chrétien qui mène son combat spirituel dans son humble lieu de vie où Dieu, le maître du jeu, constitue son seul public : « Ne savez-vous pas que ceux qui courent dans le stade courent tous, mais qu’un seul reçoit le prix ? Courez de manière à l’obtenir. Tout lutteur s’impose toute espèce d’abstinence ; eux, pour recevoir une couronne corruptible, nous, pour une couronne incorruptible » (I Co 9, 24-25).

Ascèse et JO

Créés quelques siècles avant Jésus-Christ, les JO, au départ, faisaient appel à des sportifs amateurs, tout le monde pouvait concourir dans un esprit loyal. Puis sont venus se greffer des problèmes d’argent, de mise en concurrence des villes grecques et, à l’époque moderne, des nations. Alors s’exaltent les passions nationalistes. À la fin du XIXe siècle, Pierre de Coubertin, le rénovateur des Jeux Olympiques, eut l’idée de les rétablir dans l’antique esprit de franc-jeu (de fair play). Il est plus important, disait-il, de concourir que de gagner.

Le spectacle des Jeux peut être une école de vie, de volonté, de discipline, dans un monde qui a bien souvent oublié la pratique de ces vertus. Les athlètes du muscle ont quelque chose à transmettre à ces athlètes de l’esprit que nous sommes appelés à devenir. Il est triste d’entendre des spectateurs confortablement installés sur les gradins ou devant leur télévision, les pieds dans leurs pantoufles, en train de s’époumoner à la fin des épreuves : nous avons gagné ! Ils n’ont rien gagné du tout, sinon par joueurs interposés.

Là se trouve la grande différence entre l’ascèse des JO et l’ascèse chrétienne. La première est réservée à une élite de superchampions, dont la valeur est indiscutable, et l’autre est ouverte à tout le monde, et peut être pratiquée par tous. Le chrétien ne doit pas se contenter de s’émerveiller devant les exploits des grands ascètes qui menaient des combats dans des cavernes, sur un rocher, sur une colonne, se nourrissaient à peine, mais il doit pratiquer, humblement, l’ascèse que Dieu demande à chacun de nous d’accomplir, à sa mesure. Il ne s’agit pas de se lancer dans des prouesses ascétiques hors de notre portée, mais de connaître ses limites, d’avoir conscience de ses passions et de lutter patiemment pour progresser et se libérer de cet esclavage. L’essentiel est de connaître ses progrès et de ne pas s’en vanter. Un moine du désert disait : « Nous n’avons pas appris à tuer le corps, mais à tuer les passions ».

Ascèse du Christ et eschatologie

Le Christ nous ouvre la voie de l’ascèse lorsque, après avoir jeûné quarante jours au désert il est tenté par Satan. Cet épisode signifie que tout effort ascétique de notre part, certes sans commune mesure avec l’ascèse du Christ au désert, éveille l’ardeur combative de l’adversaire qui ne perdra pas une occasion de nous envoyer sur le tapis, car « il rôde comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer » (I Pi 5,8). Le Christ mène une vie errante sur les routes de Palestine, tel un SDF « il n’a pas de toit pour reposer sa tête » (Mt 8,20). Tout chrétien peut faire sien l’appel qui lui a été lancé à son baptême : « Qui veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, se charge de sa croix » (Mt 16,24).

L’ascèse chrétienne a également partie liée avec l’eschatologie, avec l’annonce du royaume à venir. Le Christ nous y engage : « Veillez et priez, car vous ne savez ni le jour ni l’heure » (Mt 25,32). Un grand nombre de paraboles (le semeur, les talents, la vigne) ouvrent sur les temps futurs. Notre conduite doit être sainte, ascétique, car ainsi nous « hâtons l’avènement du jour de Dieu » (II Pi 3,12).

Formes de l’ascèse chrétienne

L’ascèse trouve un vaste champ d’action dans la lutte contre les passions déclenchées par des désirs, des images, des conflits avec autrui tant dans la vie de famille que dans les communautés monastiques qui sont loin d’être immunisées, par tout ce qui nous déchire, nous écarte de Dieu : égoïsme, haine, cupidité, jalousie, paresse…

La passion est toujours cause de souffrance. Evagre le Pontique répartir les passions en huit catégories (l’Occident les a regroupées dans les sept péchés capitaux). En tête de liste figure la gourmandise, peut-être parce qu’elle est à l’origine de tous nos maux : sous les sollicitations du serpent, la femme vit que « l’arbre était bon à manger » (Gn 3,6). On assiste de nos jours à une banalisation de certaines passions telle la luxure, abondamment répandue sur les écrans de cinéma, télévision et autres ordinateurs, mise sans pudeur sous le regard des enfants. Le combat ascétique contre les passions doit être mené avec discernement et à tout instant. En cas de victoire l’âme, affranchie de toute réaction passionnelle parviendra, disent les Pères de la Philocalie, à un état d’« apatheia », un état de repos, exempt de toute vie intérieure désordonnée. Cet état présuppose la grâce, il est le fruit de la présence de l’Esprit en l’homme. En demandant à l’Esprit de nous purifier de « toute souillure » nous nous plaçons sur un plan moral, mais aussi sur un plan physique où l’âme, une fois purifiée, retrouve son calme et sa joie d’être.

Parmi d’autres formes d’ascèse il y a le jeûne, thème inscrit à l’ordre du jour du prochain concile pan-orthodoxe. Il ne s’agit pas de s’infliger des souffrances inutiles, mais de régler ses appétits sans être dominé par eux, et surtout se mettre en mesure de partager avec les pauvres qui ont faim. Tout carême, ou jeûne, est une préparation à la fête, que l’on ne peut aborder le ventre plein. Dès le début du christianisme des collectes, nous dit saint Paul, étaient organisées pour venir en aide aux communautés en détresse matérielle.

Toute ascèse chrétienne a un accent prophétique, et en cela elle se distingue de l’ascèse mise en œuvre dans les JO qui trouvent tout naturellement leur but, leur joie, en eux-mêmes. L’une et l’autre ascèse peuvent être mises en parallèle. Le lutteur du stade entre en compétition pour une couronne corruptible, selon saint Paul, il met en valeur ses qualités sportives, les ressources de son mental, il est un exemple de l’effort que tout homme doit fournir pour épanouir son être. Le lutteur dans l’arène de l’esprit où il se bat contre les adversaires des ténèbres, y trouve également son plein épanouissement et décroche, lui, une couronne incorruptible. Les JO nous invitent à secouer notre indolence, notre paresse spirituelle. Les coureurs du stade déploient une ardeur infiniment plus grande que nous. Essayons d’imiter les pèlerins d’Emmaüs dans notre vie, chaque fois que nous rencontrons le Christ et que notre cœur devient « brûlant » en nous lorsqu’il nous dévoile les Écritures.

Nous pouvons concourir dans les Jeux Olympiques de l’esprit non pas tous les quatre ans, mais tous les jours.

Père Michel

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