Les couples des mariages « mixtes » sont appelés à vivre la souffrance de la séparation des Eglises dans ce qu’elle a de plus impitoyable. Elle les atteint au cœur de l’élan d’amour où en Dieu ils se sont rejoints. Et pourtant ils ne peuvent partager sur le plan sacramentel ce don de l’amour vécu au fil des jours. Ils ont été unis devant Dieu, seule l’Eglise dont ils relèvent les prend en charge, et l’on oublie la parole du Christ : « l’homme et la femme ne sont plus deux, mais une seule chair » (Mt 19,6). Sur le plan sacramentel, les hommes maintiennent séparés ceux que Dieu a unis dans l’amour.
Dans cette douloureuse situation, certains se révoltent, parfois quittent l’Eglise où ils sont nés à la vie en Dieu par le baptême. D’autres, par contre, se sentent aux avant-postes de ce désir d’union né au XXe siècle. Ils font courageusement face à leur état de vie dans une offrande de leur être, de leur couple, dans la certitude que leur amour, ainsi dépouillé, les conduira à s’unir plus fermement encore, car l’amour de Dieu est plus fort que les divisions des hommes. Ils sont les vrais témoins de l’unité dans l’amour qui, au-delà des obstacles théologiques dans le dialogue œcuménique, devrait être au fondement de tout essai de rapprochement. Ils sont les témoins privilégiés de la douleur de la désunion, mais aussi d’une union possible. Si la cellule familiale est au fondement de l’Eglise, les conjoints réalisent, par anticipation, l’unité de l’Eglise. Cette unité de vient réelle entre deux conjoints catholique et orthodoxe, pour qui le mariage est un sacrement, autant qu’avec un conjoint issu d’une Eglise de la Réforme, pour qui le mariage n’est pas un sacrement, mais est reconnu dans sa légitimité, tout en étant indissoluble.
Dans son livre Sacrement de l’amour, Paul Evdokimov avance que le fidèle non orthodoxe prend simplement l’engagement de respecter la foi orthodoxe de son conjoint. Dans ce cas, chacun peut alors s’enrichir de la tradition dans laquelle l’autre aura été élevé. S’il est vécu dans la vérité, sans compromission, cet enrichissement peut se révéler comme une avancée positive, malgré la souffrance toujours présente, en union avec Dieu qui est l’Amour crucifié. Une surabondance de grâce apporte toujours une aide pour éclairer les couples dans leur mode de vie.
Nous ne sommes plus à l’époque où les Eglises exigeaient que les enfants soient baptisés et élevés dans l’Eglise où est célébré le mariage. Le choix des parents peut être éclairé, mais il doit aujourd’hui être respecté. L’Eglise orthodoxe demandera simplement que les enfants soient éduqués selon « l’esprit » de l’Eglise d’Orient.
Une Eglise très minoritaire, telle l’Eglise orthodoxe là où elle est implantée en France, doit accepter la « mixité » de la grande majorité des mariages (le terme « mixte » n’est pas adéquat, tout mariage ne saurait être autre chose que mixte !). Ici aussi il faut faire face à une situation contre laquelle on ne peut rien, mais qui peut être vécue comme un signe d’attente, un signe d’épanouissement au service de l’amour.
Le mariage vécu dans sa profondeur est l’entrée dans une vie nouvelle, qui est la vraie vie, la vie du Ressuscité qui a prié pour l’union de tous, notamment dans ce grand mystère de l’amour conjugal où l’Esprit souffle où il veut. L’union du couple, l’éducation des enfants dans la foi au Christ, sont des étapes qui, au terme de la vie terrestre, s’ouvrent à la plénitude de la vie dans le Royaume.
Père Michel