Un ermite disait : Quelle est l’œuvre la plus ardue pour un moine ? La prière…Elle exige de lui un dur combat jusqu’à son dernier soupir…Elle est réponse à un appel.
On reconnaît en général trois modes d’oraison : la prière liturgique – celle que propose l’Eglise ; la prière spontanée où le chrétien formule sa propre louange ou ses propres demandes à Dieu ; et la prière du nom de Jésus, dont voici la formule développée : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur, ou de nous pécheurs ». Cette formule s’appelle « prière du nom de Jésus » parce que la personne du Sauveur est au centre, c’est vers Lui, « la lumière véritable », que se porte l’esprit de celui qui prie. Elle ne se substitue pas aux autres types de prières, liturgique ou spontanée. Elle se caractérise par sa brièveté, tout en recélant l’essentiel du message de la Bonne Nouvelle, et par sa répétitivité, quand dans la concentration de l’intellect elle ne cesse d’être prononcée doucement, calmement.
Voici comment le pèlerin russe décrit les effets de cette prière : « je vais maintenant, disant sans cesse la prière de Jésus qui m’est plus douce que tout au monde. Je ne sens pas que je vais…Quand un froid violent me saisit, je récite la prière avec plus d’attention et je suis réchauffé. Si mon dos et mes jambes me font mal, je me concentre dans la prière et ne sens plus la douleur. Lorsque quelqu’un m’offense, je ne pense qu’à la bienfaisante prière de Jésus, colère ou peine disparaissent aussitôt… Quand je récite la prière, je deviens tout gai. » (Récits d’un pèlerin russe, pp.34-35)
La prière et la Sainte Ecriture
La Bible nous offre, en particulier dans les Psaumes, le plus grand réservoir de prières imaginables, où s’épanchent toutes les humeurs, tous les états d’âme de l’homme qui prie.
Il y a d’abord la continuité de la prière : « Seigneur, je crie jour et nuit devant Toi » (Ps 88,3). La prière répétitive des deux aveugles : Seigneur, fils de David, aie pitié de nous » (Mt 20,29), ou du publicain : O Dieu, prends pitié de moi pécheur » (Lc 18,10). « Veillez et priez », recommande le Christ, et saint Paul renchérit : « Priez sans cesse » qu’il agrémente d’un « rendez grâces en toutes choses » (I Thes 5,17-18). Ainsi la prière, toute prière, trouve sa profondeur dans une attente eschatologique, celle du monde à venir, et s’inscrit dans une dynamique de renouvellement.
La prière et la vie
Un spirituel a écrit « Pourquoi tant parler ? La prière c’est Dieu qui fait tout en tous ». L’homme, en effet, s’ouvre, en priant, à une action que Dieu déclenche en Lui.
Jésus enseigne à prier communautairement : « vous direz : « Notre Père… », et aussi à prier dans le secret de notre chambre, qui est aussi le secret du cœur, là où le Père attend. La présence divine peut s’introduire dans le fond de la vie consciente comme inconsciente : « je dors, mais mon cœur veille » (CC 5/2). A l’issue d’une opération, une religieuse, revenue dans sa chambre, se réveille doucement en balbutiant, encore à demi consciente, les mots de la prière de Jésus qu’elle avait gardés sans faille. Toutes les circonstances de la vie sont bonnes pour égrener la prière : dans la rue, dans le métro, sur le lieu de travail, dans une queue au supermarché au lieu de trépigner d’impatience, dans une banlieue morne et triste où elle apporte une touche lumineuse.
Une mère dont l’enfant est malade saura crier son angoisse à Dieu, un étudiant saura se recueillir avant de se présenter à un examen ; ou bien, lorsque la colère monte, peut-être sera-t-il possible de prononcer le nom de Jésus face à son vis-à-vis, et éluder le tour dangereux pris dans une conversation. Même dans les moments de fatigue, voire de désespoir, il est possible de puiser assez de force pour demander à l’Esprit de « venir demeurer en nous » et de prier à notre place. Tout dans la vie peut devenir prière, hymne d’offrande, parfois un sourire y contribue ou un mot dit en vérité. Tout en ce monde peut-être porteur de la présence divine et de révéler la beauté de la création telle qu’elle est sortie des mains du Créateur.
Prière et corps
Il convient de ne jamais dissocier le corporel et le spirituel. Sans la chair, l’esprit s’évapore, or c’est dans l’esprit que la chair puise son dynamisme. La prière doit se dérouler muscles détendus, psychisme apaisé. L’esprit a besoin de s’appuyer sur un point de fixation, et le trouver en la personne du Christ. L’argument d’après lequel on n’a pas le temps, ne tient pas dans le cas d’une prière brève susceptible d’être récitée en toutes circonstances. Il est recommandé de se garder d’une trop grande immobilité, qui peut disposer à la torpeur, comme d’exercices violents, qui peuvent entraver la concentration. « Vigilance et prière vont de concert… L’attention favorise la prière, et la prière favorise la vigilance » disait un spirituel de l’Orient.
Toute prière produit des effets sur l’être intérieur, sur le moi profond. Il serait vain de chercher des états extraordinaires, la joie et la paix qui peuvent être induits par la prière ne dépendent pas de l’homme, mais de la grâce envoyée par Dieu lorsque cela lui semble bon. Une impression de sécheresse, voire de découragement, ne signifie nullement que la prière n’a pas été reçue avec bienveillance pour Dieu.
« Cherchez le Royaume, il est en vous » (Lc 17,21) ; il importe de partir à sa recherche dans ses propres profondeurs. Aucune connaissance n’est requise pour y parvenir, juste une bonne dose de volonté et de courage. Pour nager, il faut se jeter à l’eau ; il en va de même avec l’invocation du nom de Jésus, si l’on se sent appelé à la faire. Dire le nom tranquillement, doucement, sans penser qu’on est en train de prier.
La prière peut supprimer bien des « temps morts » de notre vie : se laver les mains, monter un escalier, attendre dans une queue, dans une salle d’attente, dans un embouteillage. En plus, la prière favorise la concentration de l’esprit, freine la tendance à la distraction, à l’éparpillement, qui forment une grande partie de la vie. Elle remet au centre de notre vie ce qui en est l’essentiel : l’union à Dieu.
Peut-on introduire la prière dans les activités de l’existence ? Cela est possible lorsqu’il s’agit de simples travaux manuels : les mains sont occupées et canalisent l’énergie de l’esprit en le laissant disponible. Dans les activités exigeant une totale concentration d’esprit (recherche intellectuelle, création artistique, conduite automobile) la prière peut-être présente mais autrement, comme un état intérieur apte à transformer n’importe quelle activité en prière.
Contenu théologique de la prière du Nom de Jésus
Le pèlerin russe dit que la prière de Jésus est « un résumé de l’Evangile » et le contient tout entier.
Le nom de « Jésus », dont le sens est « celui qui sauve », lui a été donné par la Vierge Marie à l’instigation de l’ange. Le Messie attendu est un homme, fils d’une femme juive ; il est également Fils du Très-Haut toujours selon la déclaration de l’ange, et c’est là, dans la force de l’Esprit, qu’il se rend présent selon les termes de saint Paul : « Nul ne peut dire Jésus est Seigneur, sinon par la force de l’Esprit Saint » (I Co 12,3). Ainsi la prière du Nom de Jésus unit celui qui prie au Dieu fait homme, c’est la divino-humanité, elle l’introduit dans le mystère de l’amour trinitaire : le Fils est invoqué, l’Esprit Saint est celui qui invoque et tous deux renvoient au Père.
La prière se déroule en trois moments. Le premier mot, « Seigneur », élève le regard intérieur vers celui qui siège dans la gloire éternelle à la droite du Père. Dans un second temps le regard s’abaisse à la condition de l’être pécheur, dans sa déchéance. Enfin, dans un élan de hardiesse se formule une demande de salut : « aie pitié de moi ». Le mot « eleison » en grec (Kyrie eleison) dépasse la simple notion de « pitié » dans laquelle on le traduit généralement en une notion étriquée, insuffisante, car il englobe également des sentiments de compassion, de miséricorde, de commisération, d’amour. Cet « eleison » vient combler l’abîme entre la justice de Dieu et l’état de péché où est tombée sa créature.
La théologie du Nom
La prière est efficace parce qu’elle contient le nom de Jésus et que Jésus est présent dans ce nom. La Bible dit que le nom de Dieu est sacré car Dieu est présent dans son nom. C’est la raison pour laquelle les Juifs, mus par une crainte mystique qui leur était propre, ne prononçaient jamais ce tétragramme sacré. Invoquer le nom de Jésus, c’est le rendre effectivement présent.
« Que ton nom soit sanctifié » : de nombreux textes invitent à élever l’âme vers Dieu pour l’adorer, lui rendre grâces, implorer le pardon des péchés, lui présenter ses propres besoins et ceux des frères. C’est au nom du Dieu en trois personnes qu’est conféré le baptême. A la Pentecôte, l’apôtre Pierre dit : « quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé » (Ac 2,21). Ce nom a pouvoir de guérison : « Au nom de Jésus-Christ : marche ! » dit Pierre à un paralytique que l’on avait apporté sur le parvis du Temple. Parler de « la prière du cœur » c’est aussi évoquer le cœur comme le lieu profond de la personne, là où se fait la rencontre entre l’homme et Dieu. Le lieu de la personne n’est pas l’intellect, ou le cerveau, mais le cœur, où se rassemblent toutes les composantes de l’être humain, affectives, sentimentales, spirituelles, morales, intellectuelles, à la fois le conscient et l’inconscient. Pour le Christ c’est du cœur que partent les bonnes comme les mauvaises pensées (Mt 15,19). Il faut donc monter la garde à la porte du cœur pour filtrer les pensées qui pourraient s’y introduire. « Lier l’intellect à une pensée unique, ou à la seule pensée de l’Unique », disait un spirituel.
Si la prière est la quête du Royaume dans le monde et à l’intérieur de soi, alors le plus grand explorateur ne fait pas de plus longs voyages, que celui qui descend au fond de son cœur (Julien Green).
Père Michel