Dormition de la très Sainte Mère de Dieu et toujours vierge Marie
Épître de saint Paul aux Philippiens Il ; 5-11.
Évangile selon saint Luc X; 38-42 puis XI ; 27-28
Au Nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Aujourd’hui, en cette grande fête de la Dormition, nous vénérons, nous honorons, tout particulièrement, le corps, la chair même de la Vierge Marie, la Mère de Dieu. L’Église orthodoxe croit que Marie est morte, comme tous les êtres humains, mais que son Fils est venu la prendre pour l’emporter avec Lui, dans le Ciel.
Tel est d’ailleurs le motif de l’icône de la Dormition de la Mère de Dieu. Nous connaissons bien cet épisode qui est raconté dans les évangiles apocryphes, c’est à dire les évangiles qui n’ont pas la même valeur canonique que ceux qui se trouvent dans le Nouveau Testament.
La Mère de Dieu vit à Éphèse, dans la maison de l’évangéliste Jean: sentant sa mort approcher, elle manifeste le désir de revoir, une dernière fois, les Apôtres, tous ceux qui ont entouré et accompagné son Fils pendant sa mission sur terre, jusqu’à sa mort sur la Croix et sa résurrection. Ils viennent un à un, ils viennent d’une manière spirituelle, bien entendu, puisqu’un certain nombre d’entre eux sont déjà morts. Ils entourent alors la Mère de Dieu au moment où elle va expirer.
Mais il y a un retardataire qui est Thomas: il arrive avec deux ou trois jours de retard. Thomas est très triste de n’avoir pas été en mesure de rendre ses derniers devoirs à Marie. Aussi, il demande que l’on ouvre le tombeau afin qu’il puisse jeter un dernier regard sur la Mère de Jésus. On ouvre le tombeau … qui se révèle vide. Cette vacuité du tombeau représente pour le père Alexis Kniazeff – grand spécialiste de la mariologie dans l’Église orthodoxe – qui a beaucoup réfléchi sur ce point précis, quelque chose d’extrêmement important.
Nous n’avons pas de reliques de la Mère de Dieu, nous n’avons rien qui lui ait appartenu, ni vêtements, ni reliques proprement dites. Pour le père Alexis, c’est un point tout à fait essentiel. Cela sig nifie qu’il ne faut pas essayer de faire de Marie une espèce de déesse qu’on se mettrait à adorer. Au contraire, il faut toujours penser à la Vierge Marie dans sa relation avec son Fils: elle est inséparable de son Fils et la discrétion qui entoure sa personne, dans les Évangiles, montre bien qu’elle se met toujours en retrait, qu’ elle se place derrière son Fils et qu’elle Le montre à la manière de Jean-Baptiste: « C’est Lui que vous devez suivre … ».
Il y a une icône qu’on appelle « Hodiguitria » : cette icône présente la Vierge Marie qui tient son Fils sur son bras et qui Le montre avec son autre main. « Voilà, c’est Lui que vous devez suivre. Ne faites pas de moi quelqu’un de supérieur à ce que je suis l»,
Marie a vécu une vie de femme, dans le plein sens du terme, si, bien entendu, l’on excepte cet engendrement miraculeux qui s’est produit en elle. Elle a mené une vie de femme, elle a mis au monde Jésus, son petit enfant qu’il a fallu immédiatement soustraire à la cruauté du roi Hérode, d’où le voyage en Égypte avec Joseph. Elle a été une mère inquiète d’avoir perdu, dans la foule, son enfant âgé de douze ans: partie à sa recherche, elle le retrouve finalement, au bout de trois jours, dans le Temple de Jérusalem « assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant ».
La mère de Jésus a été une femme remplie de compassion. Ainsi, aux Noces de Cana, en Galilée, elle se tourne vers son Fils pour Lui dire: « Ils n’ont plus de vin » … en d’autres termes, « Fais quelque chose, aide-les, console-les … ».
Telle est la Mère de Dieu qui nous console, qui intercède pour nous, qui prie pour nous. Elle a éprouvé la douleur la plus forte, la plus cruelle qu’une mère peut subir dans sa vie: voir son enfant mourir. Marie se tenait au pied de la Croix, avec l’évangéliste Jean, et les derniers mots que Jésus a prononcés sur la Croix ont été, en s’adressant à sa mère: « Voici ton fils» ; et en s’adressant à Jean: « Voici ta mère ». Il a confiè l’une à l’autre, Il a confié sa mère qu’II aimait profondément au disciple qui était peut-être celui qu’II a le plus aimé.
Il Y a un rapport particulier, à la fois très beau et très profond, entre la Vierge Marie et les trois Personnes de la Trinité, entre Marie et son Dieu qui, pour nous, est un Dieu en trois Personnes. D’abord, dans sa relation avec le Père: Marie est celle qui se donne entièrement, de toute son âme et de tout son corps, au Seigneur. « Je suis la servante du Seigneur! ». C’est bien parce qu’elle s’est donnée ainsi à Dieu, au Père, que le plan divin, à travers le Fils de Dieu, a pu se réaliser sur terre. Marie a un rapport particulier, bien entendu, avec le Christ, le Fils de Dieu … ce Fils dont le tropaire, qui a été chanté précédemment, nous rappelle qu’II est la Vie. Marie est donc, à la fois, celle qui est la Mère de la Vie et celle qui a été transférée dans la Vie. C’est un acte de vie, c’est un acte vital et profond, qu’elle accomplit en engendrant son fils Jésus, ce Fils de l’Homme qui va rendre la vie à l’humanité par sa résurrection et par sa victoire sur la mort. Enfin, Marie conserve une relation particulière, privilégiée, avec l’Esprit Saint. La Vierge interroge l’ange Gabriel: « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme? ». L’ange lui répond: « Le Saint Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre ». Elle a cette relation particulière, cette opération de l’Esprit qui est une oeuvre d’engendrement, une oeuvre de procréation.
Un théologien russe a pu dire, à cette occasion: « L’Esprit Saint est partout, Il est partout présent, mais Il a trouvé en Marie un lieu d’Incarnation ».
Voilà, en quelques mots, ce que la Vierge Marie aujourd’hui veut nous dire. Peut-être une dernière question: pourquoi Dieu a-t-Il attendu aussi longtemps avant de venir sur terre? Pourquoi ce délai de quelques milliers d’années? Ce grand spirituel, qui a posé la question, a répondu de la manière suivante: il a fallu trouver un être humain, une femme capable, assez pure, entièrement donnée à Dieu, pour mettre au monde le Fils de Dieu. Cette seule personne, cette seule femme, c’était Marie. Voilà pourquoi, toujours, nous disons que si Marie avait dit non à l’archange Gabriel, alors Dieu ne pouvait pas réaliser son plan. Telle est la grandeur de Marie, telle est la grandeur de cette Mère dont le Fils est venu apporter le salut au monde et qui, toujours, se met en retrait par rapport à son Fils.
Enfin, la fête de la Dormition, que nous célébrons aujourd’hui, n’oublions pas qu’elle est l’illustration de ce qui nous attend, de rejoindre le Royaume de Dieu, non seulement dans notre âme, mais aussi dans notre corps. La Dormition de Marie, aujourd’hui, on peut le dire, c’est une Pâque, c’est déjà l’anticipation de notre propre Pâque.
Amen.
Homélie prononcée par le père Michel Evdokimov, à la Crypte, le 15 août 2003